L'abattoir relève de
la religion en ce sens que des temples des époques reculées (sans parler de nos
jours de ceux des hindous) étaient à double usage, servant en même temps aux
implorations et aux tueries. Il en résultait sans aucun doute (on peut en juger
d'après l'aspect de chaos des abattoirs actuels) une coincidence bouleversante
entre les mystères mythologiques et la grandeur lugubre caractéristique des
lieux où le sang coule. Il est curieux de voir s'exprimer en Amérique un regret
lancinant: W. B Seabrook (1) constatant que la vie orgiaque a subsisté, mais
que le sang de sacrifices n'est pas mêlé aux cocktails, trouve insipides les
mœurs actuelles. Cependant de nos jours l'abattoir est maudit et mis en
quarantaine comme un bateau portant le choléra. Or les victimes de cette
malédiction ne sont pas les bouchers ou les animaux, mais les braves gens
eux-mêmes qui en sont arrivés à ne pouvoir supporter que leur propre laideur,
laideur répondant en effet à un besoin maladif de propreté, de petitesse bilieuse
et d'ennui : la malédiction (qui ne terrifie que ceux qui la profèrent) les
amène à végéter aussi loin que possible des abattoirs, à s'exiler par
correction dans un monde amorphe, où il n y a plus rien d'horrible et où,
subissant l'obsession indélébile de l'ignominie, ils sont réduits à manger du
fromage.
(1) L'Ile
magique, Firmin-Didot, 1929.
Georges Bataille,
Voce "Abattoir", Documents,
n. 6 (novembre 1929), p. 329.
Nota: La foto è di Eli Lotar, a cui Bataille aveva commissionato il progetto fotografico surrealista
aux abattoires de La Villette
.
aux abattoires de La Villette
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